SOLO / META IMPROVISATION

MASAYUKI TAKAYANAGI

SOLO

JINYAJINYA B-27

Distribution : Metamkine

CD

MASAYUKI TAKAYANAGI

META IMPROVISATIONJ

INYAJINYA B-26

Distribution : Metamkine

CD

Malheureusement, et c’est un constat a posteriori, le guitariste Masayuki Takayanagi n’a rencontré qu’assez peu d’écho en Occident, tant au moment de son émergence sur la scène du jazz que lors de sa mystérieuse conversion à des accords bruitistes dont la quasi absence d’équivalents au même moment, si ce n’est chez Sonny Sharrock (avec son épouse Linda) ou Ray Russell (tant au sein de The Running Man qu’en quintette aux côtes de Gary Windo), aurait pourtant dû attirer l’attention.
Eventuellement, l’on se souviendra d’un article de Jazz Magazine consacré aux « Nouveaux Sons du Japon », où, mieux que rien, Masayuki Takayanagi et sa formation New Direction étaient présentés en quelques lignes (par ignorance de disques somme toute très rares, difficiles à importer et chers), alors que l’accent était mis sur Itaru Oki, Toshinori Kondo et Yosuke Yamashita, qui d’abord se produisaient jusque chez nous, et qui ensuite se présentaient plus facilement « récupérables » de par leur allégeance au free : à l’époque, et à peu de choses près, Yosuke Yamashita = Cecil Taylor.Masayuki Takayanagi quant à lui barrait déjà ailleurs, tout comme Keiji Haino au sein de Lost Aaraaf ; et de ses tous débuts, l’on ne sait qu’assez peu, même si quelques documents phonographiques ont depuis filtré, çà et là.
Et puis : l’intéressé ne semble guère avoir été prophète en son pays. Son confrère américain Henry Kaiser se souvient, de passage à Tokyo, d’avoir été interviewé par un journaliste de jazz local le questionnant sur son musicien préféré. Quand il confia « Masayuki Takayanagi », son interlocuteur, effrayé au moment de coucher son article sur papier, remplaça le nom du guitariste nippon par celui de… Wynton Marsalis ! Inutile de préciser que le premier saut dans le vide de Takayanagi, que son confrère Otomo Yoshihide situe aux alentours de 1969, n’a pas été compris par les siens à l’époque, pas plus qu’il n’a été perçu par chez nous.
Quelque part, son Guitar Solo de 1982 revient sur ce moment charnière, historique, où le jeu, disons d’un Wes Montgomery, s’avérait déconstruit avec le même acharnement que mettrait Derek Bailey à interpréter les standards à la fin sa vie – ici des morceaux d’Ornette Coleman et Charlie Haden notamment (« Lonely Woman », « Song For Che »).
À un tournant crucial de sa vie, Masayuki Takayanagi constate ne plus être en mesure de trouver des musiciens avec qui jouer, en dehors du saxophoniste Kaoru Abe, autre perdant magnifique du free japonais d’alors. Larguer toutes amarres, en quête de nouveaux horizons, s’impose alors à lui. On est en plein milieu des années 1980 : Masayuki Takayanagi a déjà joué au prestigieux festival de Moers en Allemagne (manifestation ouverte au free jazz, mais pas que) ; et même si beaucoup de ses préoccupations peuvent être rapprochées de celles de Derek Bailey, d’AMM, du Spontaneous Music Ensemble, des gens d’ICP ou de Musica Elettronica Viva, il faut bien comprendre, qu’au départ tout du moins, Masayuki Takayanagi était ignorant des recherches d’un Keith Rowe, dont il propose finalement une version lo-fi, abrasive – noise déjà.
Les Projections constituent la seconde révolution dans l’œuvre de Masayuki Takayanagi, dont Hokkaido, en novembre 1984, représente le moment clé – une tournée réalisée en compagnie de sa femme Michiko qui l’assiste physiquement (Takayanagi souffrait déjà des problèmes qui l’emporteront en 1991), de Teruto Soejima (à qui l’on doit un documentaire sur le guitariste réalisé à Moers), et Otomo Yoshihide, alors « roadie », et aujourd’hui responsable du mastering documentant cette aventure.
Depuis le début des années 1990, ceux qui s’y intéressent, savent les guitaristes japonais attirés par les excès en tous genres – volume sonore, feedback. Leigh Stephens de Blue Cheer, tout comme Randy Holden, ont là-bas, pour certains, statures d’idoles. Très tôt des groupes japonais tels Flower Travellin’ Band, Blues Creation ou Speed Glue & Shinki ont su jouer lourd, annonçant les Keiji Haino (Fushitsusha), Munehiro Narita (High Rise) ou Jojo Hiroshige (Hijokaidan).
Masayuki Takayanagi était de la trempe de ces trois derniers (un pionnier, un brave) et il avançait seul en terrain miné, sur des fronts qu’aucun autre n’ouvrit avant lui. Meta Improvisation relève ainsi d’une longue dérive dans les parages de l’insoumission. La guitare paraît pouvoir être réduite en un tas de cendres à tout moment, et son phrasé s’avère sacrifié sur l’autel du seul feedback et des architectures sonores qu’on peut en tirer, ce que feront d’ailleurs de nombreux musiciens de la scène bruitiste néo-zélandaise des années 1990.
On pense déjà à Action Direct. Aussi à Varèse. Mais l’homme est quand même bien seul.
En 1984 les Meta Improvisations de Masayuki Takayanagi démontrent une présence maximale à l’instrument et à l’espace s’étendant jusqu’à l’ultime vibration de chaque performance, dont l’évanouissement coïnciderait avec l’extase de la connaissance totale, qui – elle – ne saurait avoir que la mort comme conséquence ou condition. Michel Delahaye, critique de cinéma et entre autre acteur dans Le Viol du Vampire de Jean Rollin : « Qu’importe l’art, il n’est rien s’il n’est tout et ne saurait être tout qu’en partant de rien pour y revenir. »

PHILIPPE ROBERT

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