CHOSES CLANDESTINES

L’ETAU

BLOC THYRISTORS BLOC THYRISTORS VINYLES 0140/50/60/70

Distribution : Metamkine

LP

Une sortie Bloc Thyristors est toujours un évènement en soi. Avec son lot de surprises, d’objets plus que soignés, de rencontres amicalement musicales. Thème majeur du catalogue, la rencontre prend tout son sens, ses sens. Cette généreuse velléité à offrir des instants qui vont au delà du simple musical. Et encore une fois, on y est dans le thème. On est dedans. On est plongé dans ces improvisations jazzy, déjà orchestrées au sein de Binôme et Brigantin. De Binôme, on en retient la clarinette de Michel Pilz (ici présent), de Brigantin les honneurs remis à l’improvisation européenne avec les frêres Bauer et Barry Guy. Scène à nouveau adoubée par la présence de piliers de celle-ci, Keith Tippet et Paul Rogers, aux côtés des rèves réalisés par Jean-Noël Cognard, initiateur avec Philippe Renaud (de la revue Improjazz) de ce projet. Alors oui, peut-être qu’il n’a pas entièrement tort Jean-Noël lorsqu’il m’écrit « Tu verras Cyrille, c’est pas forcément ta came, mais je tenais à t’envoyer ce disque ». Pas peu fier le Jean-Noël. Il peut l’être. Il est heureux de provoquer ces moments, son humaine générosité se répand sur tous ses projets musicaux, nouée au sacro-saint du sonore momentanément beau. L’ETAU s’est resserré sur le quartet pour en extraire une matière naissant du labeur, du travail dans le vrai sens du terme. On y va dans le sens, parfois on répare dans le sens ce squelette de l’impro européenne, comme sur Projections de la scène, en trio sans Paul Rogers. Mais le sens de quoi ? Pas ma came, pas ma came, oui peut-être et alors ! Jean-Noël, tu détiens cette modestie, arrêtons nous sur le titre du coffret rose (après le jaune de Brigantin), Choses clandestines. « Choses », concept assez subjectif pouvant qualifier ce truc là qui s’passe, ce bidul. Mais justement Jean-Noël, cette modestie se transforme en grande qualité. Qualité dans le sens, il est toujours là lui hein le sens, on se suprend à aimer ces instants, à entendre ce qu’on n’aurait peut-être pas l’habitude d’entendre. Entendre le sens de tout ça. Pas ma came, pas came… Tu peux continuer à l’envoyer cette came. Le manque ne se génère pas, il se crée là, sur place. Entre nos oreilles, dans notre esprit. Dans vos esprits de vous quatre là à jouer, à donner, à offrir des instants uniques. Qu’ils soient chavirés sur le côté blanc de la « chose » (comprendre deux vinyles blancs consacrés à un enregistrement en public à Montreuil), ou noirs du côté de Châtenay-Malabry. La matière des choses en un sens. En d’autres choses, Jean-Noël Cognard joue vite. Plus vite que d’habitude je trouve. Des coups secs, plus secs sur les cymbales, sur des timbres tendus à sec. La clarinette aussi joue vite bien souvent. Et là, l' »Intrigue devient plus sombre ». Pas tant que ça finalement. Car le piano (on en reparle encore du piano n’est-ce pas !) calme le jeu. Accompagne ces « Choses clandestines » d’un pas assuré mais plus lent. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il tient le jeu mais presque. Seul instrumentiste à détenir deux beaux soli sur ces quatres vinyles. Plus ça va et plus on est dans le free, souvent plus que dans l’improvisation. L’objectif reste là, le partage danse le ton, le ton du rythme, très rythmiques ces impros. La contrebasse de Paul se joue bien de l’électricité avec son acoustique. Ce genre de contradictions que j’affectionne. La deuxième partie du disque, la blanche des Instants Chavirés de Montreuil, prend son temps. Deux pièces. Une par disque. Ce noir et ce blanc, tiens donc, me rappelle soudainement les notes d’une partition. Non pas qu’il s’agisse bien évidemment de musique écrite. Les noirs seraient les notes des parties les plus courtes à Châtenay-Malabry, les blanches les plus longues à Montreuil. On y entend même un joli pied de nez à la musique répétitive sur « Une enseigne lumineuse faisant la réclame d’une revue musicale », un autre aussi beaucoup plus prégnant, au cabaret, au music-hall, comme sur la fin de sa première partie. Sur la deuxième, le quartet se joue de ces ambiances feutrées pour se diriger vers une impro musclée, physique. Avec pour guide provocateur Michel Pilz. Qui pousse ses camarades dans des séquences jazzy sautillantes, surtout chez Jean-Noël et Keith. Elles aussi très musclées, parfois viscérales. Et le quartet n’en reste pas là, et prend une nouvelle fois le temps de nous proposer les déstructurations de ces séquences, dans une dynamique free « à l’ancienne ». Un savoureux et détonnant mariage d’une contrebasse qui ronronne, d’un piano « cabaret », d’une batterie toujours prête à en découdre. Et l’on termine l’escapade avec ce « Plancher authentique permettant de bien entendre les pas ». Ce fin plancher laisse surtout échapper des notes suspendues, dans un démarrage au tempo ralenti. Ce fin plancher filtre parfois des moments chaloupés, sur des structures galopantes. Paul Rogers se faisant plus bavard dans un propos minimaliste parfois proche de structures rock comme celles du groupe écossais Ganger, en invitant en son temps (le milieu des années 90) Caroline Kraabel notamment. Ce plancher est soudain transpercé de toute part par une transe sur fond de maracas et autres objets ajoutant un côté psyché à la chose. Mais c’est de courte durée car ce n’était pas sans compter encore une fois, sur le souffle (et le public ne s’y trompe pas) acéré de Michel, sur le piano épileptique de Keith, les rythmiques effrénées de Jean-Noël, l’archet de Paul jouant le rôle d’arbitre. La dernière partie de cette pièce et donc du disque en sa globalité, se promène à nouveau dans les musiques répétitives. Le piano regroupant ses camarades autour d’un jazz très coltranien. Flirtant avec le mélancolique dans un second degré très humoristique. Donc finalement oui, ce n’est peut-être pas forcément mon truc, n’empêche qu’une nouvelle fois cette recontre a le don de vous emmener, de vous faire aimer ce que vous n’entendez peut-être pas de cette oreille sur certains disques du genre. Un peu à la manière du label FMP par exemple. Et rien que pour ça c’est déjà un grand disque. Rien que pour ces moments de « Choses clandestines » à souhait. Vous pourrez lire les réactions à ce coffret de Philippe Robert dans notre numéro papier 99 prévu d’être publié en mars prochain.

CYRILLE LANOË

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