VINCENT MARTIAL

LA CLOCHE QUI RÉSONNE

MAZETO SQUARE, CD – 2025

Mazeto Square est décidément une entreprise passionnante, une maison de production pluridisciplinaire à l’initiative de projets atypiques, sans ligne éditoriale déterminée mais animée depuis 15 ans par une réelle curiosité artistique. Ainsi, après Les Ombres de la nuit, superbe livre et double album invitant à parcourir la Bibliothèque des Rêves des Kristoff K. Roll (cf. chronique supra), Mazeto Square accueille La Cloche qui résonne, un des multiples projets de Vincent Martial, créateur de formes transmissives et de dispositifs sonores, facteur d’instruments inclassables et instigateur de projets pour le moins expérimentaux.

Nous sommes bien loin, cette fois, de l’éphémère et de l’instant qui jaillit. Les travaux de Vincent Martial exigent du temps, et ce n’est pas pour étoffer les dossiers que Césaré, La Muse en Circuit ou le GMEA apparaissent au nombre des coproducteurs. La Cloche qui résonne se présente comme « une rencontre entre des musiciens et des instruments dont les modes de jeu ne sont pas établis ». De fait, il a bien fallu que Marc Siffert, Camille Émaille, Bertrand Fraysse, Jean-François Oliver, Fabian Nicol et Elsa Jauffret (ces deux derniers ayant pleinement participé au projet, mais pas à l’enregistrement) se familiarisent avec des pièces de lutherie aussi étonnantes que le Glass-Flute, ensemble de trois flûtes en verre à coulisse hydraulique, le Pipe-Koto, ou autres artefacts sifflants, grinçants, craquants ou percutants. Je n’entrerai pas dans le descriptif de ce somptueux instrumentarium : un tel exercice ne pourrait que trahir l’inventivité de son concepteur. D’ailleurs un dessin et une photo illustrent déjà le digipack, et le groupe a eu l’excellente et généreuse idée de réaliser un film de 17 minutes, visible sur Vimeo en scannant un QR Code aisément repérable sur la pochette. Mais il est peut-être bon de savoir qu’après ce processus d’exploration, les musicien·ne·s, dont Vincent Martial, ont improvisé le plus librement du monde pour aboutir aux diverses pièces présentes sur l’album, transcrites ensuite sous forme de partitions concrètes. Comme quoi, l’instant qui jaillit peut parfois transgresser l’éphémère… Nous pouvons aussi pénétrer dans cette musique sans savoir qui joue quoi ni comment elle s’est élaborée. L’incongruité partielle de ses sonorités ne saurait nous priver d’un abord immédiat, ni même d’une certaine reconnaissance stylistique. Il semble en effet que l’initiateur du projet ait souhaité alterner les pièces chambristes, dont l’exécution s’inscrit dans un continuum contemporain évoquant aussi bien Chris Burn, John Butcher ou Anthony Braxton que Scelsi, Ligeti, Stockhausen ou Xenakis, et des expériences plus bruitistes où la dissonance l’emporte sur la tempérance quand les barres de mesure tombent devant la permanence des ostinatos. Dans le premier cas, la profondeur des harmonies s’appuie sur un tempo dont la virtuosité des percussionnistes ne parvient jamais à oblitérer la régularité. Ce rythme, si diffus soit-il, disparaît aussitôt que la puissance du souffle nous entraîne hors des limites de la tonalité, vers des territoires plus mouvants. À mesure que nous avançons dans l’œuvre, la différence tend sans doute à s’estomper. Les stridences bousculent la cadence et les frappes s’inscrivent dans la démesure, l’abstraction s’empare de la danse dont les mouvements se décomposent en figures extravagantes, et des résonances industrielles perturbent la nature des nappes harmoniques. Pourtant l’écriture oscille toujours entre ces deux pôles, bruitiste et chambriste, free et contemporain. Et la richesse d’une telle proposition nous ferait presque oublier le plaisir pris à son écoute, comme on occulte assez vite la singularité des outils nécessaires à son avènement. C’est d’ailleurs en cela que réside la grande réussite de ce projet : si fascinants soient les objets réalisés par Vincent Martial et la haute technicité des instrumentistes, l’enjeu principal demeure cette musique, dont le caractère savant ne peut altérer l’efficacité.

Joël PAGIER

https://vincentmartial.com/la-cloche-qui-resonne

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