MATERIALS

ONAS KOCHER

CREATIVE SOURCES CS164

Distribution : Metamkine

CD

Les bretelles solidement accrochées à de nombreux folklores, l’accordéon est injustement dédaigné par les pratiques expérimentales ou improvisées. Bien sûr, les travaux de Pauline Oliveros, Howard Skempton ou Guy Klucevsek semblent contredire cette sentence mais, une fois la vitrine dépassée, le paysage est plutôt désertique. C’est donc avec une curiosité toute particulière que l’on aborde ce disque de Jonas KOCHER qui ausculte de très près l’instrument maudit et le confronte, à l’occasion, à d’autres objets. De manière non anodine, KOCHER a fait ses classes auprès de Teodoro Anzellotti, lequel a largement contribué à (ré)introduire l’accordéon dans le répertoire contemporain, de Cage à Kagel en passant par Berio qui lui a dédié sa XIIIe sequenza. Outre les techniques instrumentales étendues, KOCHER a également développé, à travers son travail de composition pour le théâtre et la radio, un goût pour la narration et la mise en espace.
Ces différents éléments s’imbriquent superbement le long de cette suite d’improvisations, premier opus solo du Suisse et incontestable coup de maître. Sur chaque titre, les “matériaux” employés sont simplement énumérés : soufflet, boutons, archet, cymbale, laine de verre ou électronique. Il s’agit le plus souvent d’une combinaison de deux d’entre eux qui est explorée, avec la froide détermination mais aussi l’empathie du geste clinique. On entame ce périple au cœur d’une alvéole pulmonaire dont les contractions arythmiques révèlent une insuffisance respiratoire, souffle rauque et intime qui ménage sa survie. Le crin s’accroche au soufflet, dérape en grincements lugubres avant que des fréquences suraiguës ne prennent le relais. On imagine, sans doute à tort, des doigts, crispés jusqu’au sang, arracher le moindre soupir, extirper le dernier soubresaut d’une machine autrement inanimée. Le tranchant de la dissection n’entame pas pour autant la dramaturgie de l’instrument. Sur la fin de “Bow, Cymbals, Buttons” notamment, l’accordéon s’essouffle avec gravité et se noie dans des strates ronflantes et somptueuses qui, sans le moindre support électronique, pénètrent les terres de Phill Niblock. Sur “Electronics” au contraire, on pense davantage au bruitisme dynamique et ciselé de John Wiese (celui de Circle Snare) tandis qu’un autre titre plongera vers les racines de la musique concrète.
Une richesse de palette stupéfiante, un contrôle absolu et un très beau sens de la progression (le suite s’achève à des années-lumière d’où elle avait commencé) font de ce disque rien moins qu’un chef-d’œuvre inespéré de l’improvisation électroacoustique actuelle qui, en dépit de la noirceur dont il s’enveloppe, mérite toute la lumière.

JEAN-CLAUDE GEVREY

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