SCREEN OFF

PAAL NILSSEN-LOVE / KEN VANDERMARK

PNL RECORDS PNL041 – 2019

Distribution : Metamkine

CD

Un bien étrange album que ce Screen Off édité par Ken Vandermark, Paal Nilssen-Love et Lasse Marhaug sur PNL Records, le label du batteur… À la lecture de la pochette, la durée des morceaux nous interpelle déjà : 21 plages en 42 minutes, le calcul est rapide, et l’on se dit qu’il doit s’agir d’une forme de grind jazz, ce dont le saxophoniste et le percussionniste (qui signent ici leur 10e duo) sont d’ailleurs bien capables quand on connaît leur énergie et le côté « fast and furious » de certaines de leurs productions. Et puis, une fois inséré le CD dans le lecteur, on se retrouve en présence d’une sorte de concert free découpé en rondelles et remonté dans le désordre, avec quelques virgules électroniques séparant les titres, et qui en dissimulent à peine la disparité sonore et technique. Qu’est-ce donc que cela, et de qui se moque-t-on ? Retour à la pochette, donc, pour s’apercevoir qu’il s’agit en fait de lives pirates diffusés sur YouTube entre 2008 et 2018, puis réunis sur le dit Screen Off, dont l’intitulé s’éclaire soudain : que rend la musique séparée de l’écran, et que signifie ce besoin compulsif de livrer en pâture sur la toile n’importe quel extrait décontextualisé ?
La question est intéressante, mais la réponse ne donne pas un album, et l’objet en lui-même ne rend grâce ni au talent, ni à l’intelligence conceptuelle des deux instrumentistes, quand bien même se réclameraient-ils, avec le producteur Lasse Marhaug, du mouvement structurel d’artistes expérimentaux tels Michael Snow ou Tony Conrad. En fait, il semble surtout que Ken Vandermark et Paal Nilssen-Love, agacés de voir leur travail ainsi dérobé puis dilapidé à tous vents, aient choisi de rendre à César ce qui leur était dû et de récupérer ainsi, à défaut de royalties, la paternité de leurs improvisations. Leur colère est juste, mais qu’ils se méfient, car la pauvreté artistique de leur manifeste risque fort d’évoquer le cynisme même de la pratique dont ils souhaitaient dénoncer les dérives. Quoi qu’il en soit, et quand bien même seriez-vous inconditionnels de l’un ou l’autre de ces deux stakhanovistes de la scène internationale, cet album ne vous apportera rien – qu’un peu de poussière sur vos étagères.

JOËL PAGIER

Vous aimerez aussi...