OXTIRN 

ELI KEZLER

ESP-DISK ESP4061

Distribution : Orkhêstra

2CDS

Rencontre totale avec ce compositeur multi-instrumentiste de Providence, Rhode Island, Eli Kezler. Il utilise des instruments traditionnels comme la guitare ou la batterie, et d’autres construits et imaginés, comme cette pièce de métal, ou encore cette harpe préparée avec tout types de moteurs et micros. Eli Kezler a son propre label, Rel (distribué par Metamkine). Il y publie majorités de solos en cdr et cassettes aux tirages ultra-limités. On peut y trouver néanmoins le duo Alster, en vinyle et surtout avec Ashley Paul, compagnon clarinettiste que l’on retrouve sur cette pièce,  »Oxtirn ». Le label Esp ne nous habitue pas à de telles incursions hyper soniques, aussi variées dans le panel des fréquences. Aussi modernes serais-je tenté de dire. Mais qu’est ce que peut bien vouloir dire  »moderne » ? Surtout dans le jargon  »Esp-ien », malgré tout instigateur de musiques pour le coup très avant-gardistes. Et ce depuis des décennies comme vous le savez. On y reviendra un peu plus loin sur cette allusion au terme soit, purement journalistique, mais malgré tout ici qualifiable de  »moderne ». Esp avait déjà repéré la qualité sonore de cette pièce écrite, ou plutôt faite de signes et mouvements, un peu à la manière du  »Treatise » de Cornelius Cardew, allusion cette fois à la sortie ces jours-ci de notre numéro papier, 89ème du nom, en l’éditant en 2010 en format vinyle rapidement épuisé. On retrouve certaines reproductions de ce partitions graphiques, certes en insert au format réduit qui fait mal aux yeux, pour l’occasion de cette réédition Cd publiée au milieu de cette année. Vous voyez on y vient petit à petit au  »moderne », musique écrite, musique graphique, musique composée.  »Oxtirn » c’est un peu tout ça à la fois. En vinyle étaient éditées deux parties, tout simplement partie 1 et 2. En cd nous profitons d’une extension titrée…. »part 3 » sur la version studio, et aussi en agrément un enregistrement live, une version brute qui eût servi lors de l’enregistrement de cette pièce faisant office de second Cd estampillé Rel à 300 exemplaires. Donc un objet, double Cd, beaucoup de graphismes et d’impressions en tout genre dont les mains d’Eli Kezler ont le secret, un digipack, une pochette sérigraphiée de travaux visiblement travaillés à l’encre, de Chine peut-être , mais je n’en ai ni la certitude ni l’expérience. Le digipack c’est pour la version studio en trois pièces. Un premier mouvement montagneux, sauf qu’on commence par la descente, une déferlante aux percussions primitives et free comme du bon Han Bennink. Sauf qu’ensuite il y a la remontée. Elle se fera aux sons étirés du tuba, trombone, accordéon et trompette d’Andrew Fenlon, de la clarinette et de la guitare environnante saturée d’Ashley Paul et Eli Kezler évidemment. S’ensuit un ragga aux sonorités aiguës, très EAI, un long râle qu’ont pu déjà exploiter les ensembles Phosphor ou Mimeo. C’est précisément cette pièce,  »part 2 » donc, qui m’incite à parler de musique  »moderne », comme on peut l’entendre chez Morton Feldman, chez AMM, chez Walter Marchetti. Un mouvement statique qui vous berce, vous charme. Un vrai grand moment. La dernière partie, qu’on a nommé extension tout à l’heure, est un duo entre la pianiste Sakiko Mori et Eli Kezler en personne. Une acoustique tonique se joue des harmoniques dynamiques, dans un échange musclé, dans une écoute mutuelle étirée tout au long de ce quart d’heure empreint de magie. J’ai un temps pensé à certains travaux de Zeena Parkins. La partie live en pochette cartonnée sérigraphiée est indexée en 5 plages, dure une quarantaine de minutes et est jouée par Ashley Paul, Eli Kezler bien sur, et Geoff Mullen. Une base plus free parfois proche du power trio Diskaholics anonymous trio (O’rourke, Moore,Gustaffson) en un peu plus acoustique entame les affaires. L’ordre des séquences est à peu prés le même, on ralentit la cadence ensuite pour tendre vers une impro lente, parfois silencieuse, avec une circulation nonchalante des données, une manipulation soignée des fréquences, surtout via ces jeux sur plaque métallique et ce blues déjanté à la Hans Tammen. Le drone est aussi de la partie. Dans une dimension circulaire, nerveuse. Proche de la saturation. Bref, même s’ils sont venus à foison, les mots viennent à me manquer. Si ce n’est que ce disque c’est quelque chose. Bravo.

CYRILLE LANOË

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